Wentworth Webster, Bulletin de la Société des Sciences, Lettres et Arts de Bayonne, 2ème semestre 1889, pp. 303-309.

Le second numéro du Bulletin de la Société Borda, 3e trimestre 1888, renferme, pages 185-187, une courte notice due à la plume exercée de P.-M.-H. Du Boucher, président de la Société, et intitulée : Un naturaliste ignoré, P. Th. Ducourrau, 1810-1874.

M. Du Boucher, après quelques lignes consacrées à la biographie de M. Ducourrau, nous parle de travaux laissés par lui, « trois volumineux cahiers de notes manuscrites qui sont une réelle iconographie des animaux petits et grands, vivants ou fossiles, terrestres ou marins, des coquilles, des insectes, des plantes et des arbres qui se trouvent dans la région du Sud-Ouest, et principalement aux environs de Biarritz ». Les dessins qui accompagnent cet ouvrage lui paraissent absolument remarquables au point de vue de la fidélité et de la précision scientifique.

Mon ami, M. Peter Barr, botaniste très distingué, avait, de son côté, étudié ces documents et les a décrits, en termes presque identiques, dans le Gardener's Chronicle de Londres, en date du 10 mars 1888. Je me joins de tout cœur au vœu de M. Du Boucher pour la conservation et la publication, en partie du moins, de ces papiers, actuellement en possession de M. Moussempès, de Biarritz, parent de M. Ducourrau. Rien ne manque plus, aux étrangers en visite à Biarritz et à St-Jean-de-Luz, qu’une description simple et exacte de la faune et de la flore de la région. A maintes reprises on m’a demandé s’il en existait une.

Mais ce travail n’est point l’unique titre de M. Ducourrau à l’attention de notre Société. Il a laissé, non-seulement des notes, des mémoires, des collections se rapportant à l’histoire naturelle de la contrée, mais aussi des papiers relatifs à la linguistique et à la philologie du Sud-Ouest de la France. J’ai pu me procurer quelques-uns de ces documents lors d’une visite à sa bibliothèque, installée tant bien que mal dans un pavillon attenant à la villa Nancy, près de la vieille église de Biarritz. Comptant y retourner sous peu, je n’avais acheté que ce qu’il m’était possible d’emporter en une seule fois. Une maladie m’a malheureusement empêché d’exécuter ce projet.

Les quelques livres que je me suis ainsi procurés fournissent assez de preuves de l’enthousiasme de M. Ducourrau pour sa langue maternelle. Un de ces volumes, un grand in-octavo de 300 pages interfoliées, porte ce titre en M SS :

GRAMMAIRE COMPARÉE
DES LANGUES DE LA FRANCE MÉRIDIONALE
OU
LANGUE D’OC,
TELLES QUE LE PROVENÇAL,
LE LANGUEDOCIEN,
LE GASCON,
LE BÉARNAIS,
TOUS CONGÉNÈRES
FORMANT LA LANGUE ROMANE,
ET LES RAPPORTS
DE CES DIVERS IDIOMES
AVEC LA LANGUE FRANÇAISE

« La partie manuscrite comprend le gascon bayonnais, auquel Pierre-Thomas Ducourrau, de Biarritz, négociant à Nancy, a consacré ses moments de loisir depuis 1858, en souvenir de sa patrie. Il mentionne ses rapports avec l’espagnol, l’italien et le basque ».

Ce volume contient d’abord : une « Grammaire française expliquée au moyen de la langue provençale, ou nouvelle méthode avec laquelle un Provençal qui sait lire, peut, sans maître, apprendre en peu de tems (sic) à parler et à écrire correctement le français ».

(Par M. HERAUD ? (sic) en M SS.)
MARSEILLE
Chez CAMOIN, libraire, place Royale
1826

Cet ouvrage a 132 pages interfoliées de notes manuscrites où M. Ducourrau donne les déclinaisons ou conjugaisons, etc., du français, en bayonnais ou gascoun. Presque toutes les phrases citées comme exemples dans le français, sont aussi traduites en bayonnais. Parfois il supplée aux lacunes de son auteur : ainsi, en face de la note 13, p. 119 : « L’adjectif se rapporte ici à deux noms, dont l’un est masculin et l’autre féminin. L’usage a décidé qu’il s’accorderait avec le substantif masculin, parce que, suivant l'argot des grammatistes, le genre masculin est plus noble que le féminin :

Du côté de la barbe est la toute-puissance ».

Au verso, M. Ducourrau donne la tirade entière en français et en gascoun ; nous ne citerons que cette dernière :

Dou coustat dé le barbe es le toute puchénce
Et ço que lou sourdat, en soun debouar enstruit
Mountre d’obeissence aou méste qui lou conduich ;
Lou baylet aou soun méste, lou mainatye aou soun pay,
Aoun soun supériur lou mendre pétit fray  ,
N’aproche pas encouare de la docilitat
E de l’obeissence, é dé l’humilitat
E dou pregoun respect oùn la hemne 
déou esta Per lou soun marit, sou chef, sou seignou é sou méste.

Le choix même de cette citation semble assez dire que M. Ducourrau n’était guère de son siècle.

La seconde partie (feuilles 153 à 268) est entièrement manuscrite. On y trouve, rangés en colonnes parallèles, des listes de mots français, provençaux, bayonnais, espagnols, quelquefois même des mots basques, le tout rappelant les vocabulaires des « Guides polyglottes de la conversation » ; quelques noëls, des chansons, de vieux documents, mais, en somme, rien qu’on n’ait vu ailleurs. La seule section (pages 201-240) qui puisse avoir quelque valeur sérieuse pour la science, comprend des tableaux d’histoire naturelle, avec la nomenclature en latin, français, provençal et gascon.

Un autre volume, également interfolié, a peut-être une importance plus grande : c’est le « Dictionnaire Provençal-Français, suivi d’un Vocabulaire Français-Provençal, par J.-T. Avril. Apt, Edouard Cartier, 1839 ». Ce dictionnaire est précédé de trois brochures réunies sous la même reliure : 1° Tableau historique et comparatif de la langue parlée dans le Midi de la France, par Mary Lafon. Paris, A. René et Cie, 1841. 2° Glossaire roman-latin du XVe s., extrait de la bibliothèque de la ville de Lille, par Emile Gachet. Bruxelles, A. Vandal, MDCCCXLVI. 3° Du projet d’un Dictionnaire Provençal-Français, ou Dictionnaire de la Langue d’Oc, ancienne et moderne, par S. F. Honnorat.

Les pages interfoliées pourraient être de quelque utilité pour un vocabulaire du bayonnais, car un tiers au moins des mots donnés dans le dictionnaire d’Avril y sont traduits en ce dialecte. De plus, comme d’ailleurs sur les marges, le verso des pages du reste du volume, l’auteur y a noté pêle-mêle, au hasard, tout ce qui lui tombait sous la main. On y voit, par exemple, les deux Alphabets des perfections et des défauts de la femme, 1631 ; du latin accompagné de sa traduction en français, en provençal, en bayonnais ; le serment de Louis-le-Germanique, le sic vos non vobis de Virgile, et force proverbes et dictons sur le temps, sur les jours de fêtes. En voici un échantillon :

Héouré que heoureye,

Mars que marseye,  

Abriou, piou, piou (prov. biarrot).

En février le givre,

En mars les calendés.

En avril, les jeunes poulets.


Un dicton de Bayonne :

A Bayoune, l'iber qués
Mé souben humide qué rets
Pluyes, brouillard, nébe biste foundude,
Chic de frimats, rarémen yelade a peyre torre
A la Sein Martin, pluyes ou souleil sairet
Lou rets ne bien qu’a le Nadaou
E ne seguiech qu’en jambié
Per parti en héoüré
A le Sein Léoun
Naberé sésoun.


La « traductioun bayounese » d’un proverbe breton :

Si l’iber ba dret soun camin
Be l’aourats a le Sein Martin,
Si s”arreste tan sulemen
Que l’aourats a le Sein Cleman.
Si trobe quouque pachiou
Que l’aourats à le Sein André,
Mé si ba chéns sabe aqui ni là,
Attendetz-lou en abriou ou may.

On y peut lire encore une traduction béarnaise de l’italien et du limousin de la comédie-ballet M. de Pourceaugnac, et quelques vers du troisième intermède du Malade imaginaire. Rien ne prouve, du reste, que ces versions soient de la main de M. Ducourrau, car il ramasse de tous côtés ses citations de béarnais, provençal, etc., etc.

Notre auteur, il faut le dire, ne pouvait avoir aucune prétention au titre de philologue : la linguistique était pour lui lettre close. On le voit, dans ses traductions latines, laisser de côté les mots, les phrases difficiles, ou les interpréter mal. Mais Pierre Ducourrau fut un vrai collectionneur ; il avait du goût et de l’enthousiasme, et ses habitudes de naturaliste l’ont servi dans l’étude de son dialecte maternel. Chose singulière, il n’a connu ni les poésies parfois exquises de Justin Larrebat, son compatriote biarrot (elles ont paru en 1847-48 dans l’Ariel, de Bayonne), ni même les Fables caüsides de La Fontaine, 1786; au moins ne les cite-t-il jamais, non plus que les Poésies en Gascoun, de M. P. Tre Lagravère, Bayonne, 1865.

Même sans faire mention des travaux de notre Société, nous avons eu, depuis sa mort, les études de M. Luchaire, la seconde édition de la Grammaire béarnaise et le Dictionnaire de M. V. Lespy ; à mon avis, néanmoins, toute personne qui voudrait étudier à fond la grammaire, mais surtout le vocabulaire du gascon de Bayonne, trouverait quelque secours dans les deux volumes à moitié manuscrits dont je viens de vous parler.
A l’exception de ces deux recueils, la seule de mes acquisitions qui offre quelque intérêt, serait un « Parnasse » provençal, renfermant seize pièces de vers dont les dates s’échelonnent entre 1774 et 1855. J’ai dit plus haut pourquoi il ne m’avait pas été possible de me procurer d’autres ouvrages, plus ou moins rares, d’une bibliothèque probablement dispersée aujourd’hui.

La notice de M. Du Boucher vient d’attirer l’attention sur les labeurs modestes d’un homme de bien : peut-être vous sera-t-il agréable de savoir que quelques-uns de ses livres, avec annotations, sont entre les mains d’un confrère et, par conséquent, à l’entière disposition des membres de la Société à laquelle il est fier d’appartenir.

Wentworth Webster