Eric Guilho est directeur du Museum d'Histoire Naturelle de Bayonne. Il occupe donc actuellement le poste créé en 1856 pour Ulysse Darracq, collaborateur de Pierre-Thomas Ducourrau. Nous lui avons demandé de feuilleter pour nous, 150 ans après son prédécesseur, les carnets manuscrits. Voici ses commentaires sur le second cahier.
Remarque : la plupart des animaux réellement observés, décrits et dessinés par Pierre-Thomas Ducourrau dans ce manuscrit sont disponibles dans la section « Poissons et molllusques » du site.
Le carnet d'histoire naturelle de Ducourrau est de prime abord très différent du carnet d'ornithologie. Le carnet en question présente un ensemble hétérogène, voire hétéroclite, d'espèces très diverses, vivant dans des régions du globe assez éloignées. Cette hétérogénéité se traduit par la présentation de groupes très divers, allant des mollusques aux mammifères et se retrouve dans la qualité des descriptions et des dessins.
Un grand nombre de groupes et d'espèces
Ducourrau décrit dans ses carnets un grand nombre de groupes d'animaux : mollusques, annélides (vers), cnidaires (méduses), échinodermes (étoile de mer, ophiures, holothuries...), crustacés, insectes, et vertébrés (tortues, serpents, lézards, mammifères...). Il les répertorie selon 12 classes et une nomenclature qui avait cours à cette époque. Il s’est inspiré de manière importante des écrits du Comte de Lacépède, son nom apparaissant à de nombreuses occasions.
L’un des groupes le plus représenté à l’aide de dessins est celui des ostéichtyens (animaux à squelettes osseux), avec les poissons à nageoires rayonnées (près d’une cinquantaine d’espèces) et les cétacés. L’auteur présente ces derniers avec les poissons alors que ce sont des mammifères, détails dont il avait connaissance comme l’indique le feuillet 299. Probablement par facilité.
Extrait de la classification de Lacépède, recopiée par Ducourrau, et classant les cétacés parmi les mammifères : baleine, narval, cachalot, dauphin et phoque que Ducourrau décrit comme « commun à Biarritz, on le voit presque toute l’année près du rivage folâtrant au dessus des flots (…) » |
Dans le groupe des poissons, figurent également les poissons à squelette cartilagineux (requins, raies, chimères) avec moins d’une vingtaine d‘espèces. L’auteur présente une sorte de clé de détermination des raies, détail assez rare pour être souligné. A cela s’ajoutent des dessins très intéressants sur les œufs de raies. Les dessins présentent des espèces de requins venant de différentes régions du globe, comme le requin blanc. L’essentiel n’a très probablement été dessiné qu’à partir de planches illustrées.
Les mollusques sont également représentés, entre les céphalopodes (seiches et œufs), gastéropodes (escargots), les bivalves… à travers quelques dessins et une longue liste de genres et d’espèces. Parmi les très nombreuses espèces dessinées, se trouve sur le feuillet 263 une clione (ou papillon de mer, gastéropode sans coquille), espèce normalement présente dans les mers froides de l’hémisphère nord. L’a-t-il réellement rencontré ou dessiné à partir d’une illustration ?
De manière étonnante, au milieu de ce carnet essentiellement consacré à la zoologie, Pierre Thomas Ducourau dresse une très longue liste d’espèces végétales figurant dans la Botanique d’Edouard Spach, botaniste du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris.
Dans la partie réservée aux « Quadrupèdes ovipares et serpents », hormis la litanie de serpents, lézards, de grenouilles... le feuillet 313 présente une certaine originalité avec une sorte d’étude comparative de différents œufs, d’oiseaux, de crocodiles, de serpents et de poissons cartilagineux, de par la qualité des dessins. Là encore, de nombreuses espèces vivant à travers différents continents. Notons qu’une nouvelle fois les cétacés, représentés dans cette partie, ne sont pas vraiment à leur place.
S’en suivent divers groupes, peu développés, notamment des fossiles et les mammifères.
Dans la brochure sur les insectes, l’auteur s’est attelé à un travail d’étude anatomique (systèmes « tégumentaires », nerveux et digestif) pour quelques espèces. L’a-t-il réellement fait ou, comme d’autres fois, a-t-il puisé des dessins dans la littérature ? Notons en tout cas une certaine diversité des approches de cette classe (anatomique, écologique, mode de vie et de reproduction…)
Qualité des représentations et des dessins
Ce carnet présente des dessins parfois très sommaires et à l'inverse des descriptions très poussées, accompagnés de superbes dessins réalistes, très probablement à l'échelle pour certains. La description de l'ange des mers sur les feuillets 55 et 56 avec prises de mesure est l’une des plus poussées et abouties. Il en est de même pour l'araignée de mer, feuillets 483, représentée par de splendides dessins très réalistes. Les dessins les plus réalistes se trouvent chez les poissons et les crustacés.
Le réalisme des dessins montre une nouvelle fois si l'auteur a dessiné d’après un animal mort récemment. Il suffit de voir chez les poissons la couleur des ouïes ou la position des yeux de certains spécimens, comme la vieille représentée sur le feuillet 17, avec les yeux exorbités. Cette particularité vient d’une remontée trop rapide des profondeurs et de la différence de pression entre les profondeurs et la surface.
A l’inverse, certains dessins sont très peu réalistes voire totalement imaginaires, comme ceux de quelques cétacés, crocodiles ou serpents.
Eric Guiho
Compléments
Quelques feuillets ne sont pas en relation directe avec l’histoire naturelle, mais présentent d’autres intérêts