Eric Guilho est directeur du Museum d'Histoire Naturelle de Bayonne. Il occupe donc actuellement le poste créé en 1856 pour Ulysse Darracq, collaborateur de Pierre-Thomas Ducourrau. Nous lui avons demandé de feuilleter pour nous, 150 ans après son prédécesseur, les carnets manuscrits. Voici ses commentaires sur le premier cahier.
Remarque : la plupart des animaux réellement observés, décrits et dessinés par Pierre-Thomas Ducourrau dans ce manuscrit sont disponibles dans la section « Oiseaux » du site.
Espèces décrites :
Sur ce carnet, Pierre-Thomas Ducourrau décrit de nombreux spécimens d’oiseaux, l’ensemble représentant 74 espèces. Les spécimens figurant sur le carnet font l’objet d’un ou plusieurs dessins, accompagnés le plus souvent d'annotations plus ou moins fournies. Ces dernières portent la plupart sur des éléments de classification, d’identification (nom d’espèce en latin, nom en français, en gascon,...), de description (orientation du corps, partie dessinée, couleurs …) et de contexte (date et lieu de collecte,…). Les informations les plus intéressantes sont les éléments de contexte, à savoir les lieux et dates de collecte.
La très grande majorité des espèces présentées ici sont plus ou moins courantes dans la région. Notons sur la planche 25 la présence d’un padda de Java, Lochura oryzivora, identifié comme Oxia oryzivora, mangeur de riz de l'Inde. Il s'agit d'une espèce endémique des îles indonésiennes de Java et de Bali. Le paradoxe veut que les populations naturelles de cet oiseau soient vulnérables dans leur aire d'origine alors qu'il est aujourd’hui présent à travers le monde entier. De nombreux individus ont été introduits dans diverses régions du monde pour être élevés comme oiseau d’ornement, à l'instar de perruches, perroquets et autres diamants ou rossignols du Japon. Pierre-Thomas Ducourrau mentionne d’ailleurs qu’il s’agit d’un oiseau de cage. L’histoire ne dit pas si le spécimen a été retrouvé mort en cage ou dans la nature après s'être échappé. Dans tous les cas, cette information montre que vers 1860/1870 cette espèce était déjà présente sur la région.
Le Padda de Java, le seul oiseau exotique de la collection Ducourrau |
L'identification des espèces a pu être le plus souvent validée à l'aide de la bibliographie de l'époque, nombre de planches portant des références à des auteurs tels que Risso. La détermination de plusieurs spécimens a été validée par Ulysse Darracq, se traduisant par des mentions du type "Vu U.D.". Son nom est clairement nommé à plusieurs reprises en bas de certaines planches, conférant un intérêt historique à ces planches.
"Vu par M. Dq", l'une des nombreuses mentions d'Ulysse Darracq. |
En pages 11 et 12, l'auteur s'est essayé à une compilation des divers rapaces diurnes et nocturnes européens, associant un dessin par espèce et la liste des noms d'espèce. Avec des dessins très peu ressemblants pour certains, cet essai n'est pas réellement une réussite. Ces derniers ont très probablement été réalisés à partir d'un livre sur l'ornithologie de l'époque ou selon des observations directes ou encore rapportés par d'autres naturalistes ou chasseurs, comme le précise Claude Dendaletche. Il a cependant le mérite d'offrir un aperçu de la plupart des espèces de rapaces européens et une infime partie originaire d'autres régions du monde.
Le tableau des rapaces diurnes, réalisé sans observation directe des spécimens |
Pour une raison inconnue, la page 69 porte une ophiure séchée relativement bien conservée. Cet animal marin est proche des étoiles de mer, faisant partie du groupe des échinodermes (étoiles de mer, oursins, concombres de mer…). Il s'agit du seul animal présent dans ce carnet d'ornithologie n'étant pas un oiseau, qui plus est naturalisé et non dessiné.
L'ophiure égarée parmi les oiseaux. |
Dessins
Le parti pris de l'auteur est d’avoir dessiné les oiseaux à taille réelle, permettant ainsi un niveau de détail et de précision dans la description plus important que celui proposé dans les guides ornithologiques actuels. Bien que la taille des espèces soit très variable, la majorité d’entre elles sont assez petites pour figurer sur une page. Y sont présentés alors les dessins de spécimens entiers, vus de face et/ou de dos, avec des détails de plumes et/ou de pattes. Pour les plus grandes espèces (buse (variable ?), butor étoilé, goéland argenté juvénile et fou de bassan), leur dessin a nécessité l’utilisation de grands feuillets devant être pliés pour fermer le carnet. Le dessin d’un vautour fauve, oiseau à la stature trop imposante pour figurer ici en entier, se limite pour le coup à la reproduction d’une tête, d’une patte et d’une plume.
Le vautour... Trop gros pour le cahier de Ducourrau |
Pierre-Thomas Ducourrau a effectué ses croquis à partir de dépouilles d'oiseaux récupérés dans la nature. Au-delà des mentions de lieu et de date de collecte, cela se traduit par des positions ou des postures indiquant qu'ils étaient posés sur une surface plane et qu’il n’est pas possible d’observer de leur vivant, notamment pour des raisons anatomiques et au regard de leur comportement. Il n’est qu’à voir le dessin d’un des macareux-moine, feuillet 61, trouvé après une tempête. Les plumes de l’aile gauche sont pour partie non lissées, agrégées et mal agencées (trou dans le plumage).
Le macareux-moine, dans une position peu naturelle. |
Sur la page du goéland (argenté ?), feuille 74, figure un étonnant dessin du squelette de l’oiseau en question (à plus petite échelle). S’agit-il du squelette de l’animal en question, reproduit après dépeçage ? Il n’est pas possible de le déterminer ici. Autre détail étonnant, le spécimen décrit n’avait plus d’ailes au moment de sa collecte, ces dernières « ayant été coupées pour ornement », formule venant des annotations de l’auteur. Il s’agit là d’une pratique peu commune et disons le, plutôt barbare.
Qualité des reproductions :
L’un des intérêts de ce manuscrit réside dans le réalisme des reproductions et le foisonnement des détails, même si l’ensemble est de qualité très inégale. Le détail et le rendu des plumes est très intéressant, tantôt très bon, parfois trop flou. Concernant les pattes, il est possible d'y distinguer les écailles et les griffes avec un bon rendu. Il en va de même pour les becs, présentés quelques fois ouverts et fermés. Les silhouettes sont le plus souvent respectées et bien proportionnées. Pierre-Thomas Ducourrau a réalisé les dessins, tandis que la mise en couleur a été assurée par sa fille, détail précisé par Claude Dendaletche.
Technique d’empaillage et anatomie comparée
Le carnet comprend une double page intitulée "empaillement des oiseaux" décrivant non pas les étapes de l'empaillement mais celles qui précèdent, à savoir le mode opératoire d’un dépeçage en bonne et due forme. Ce thème est assez rarement traité dans la littérature et mérite d’être relevé.
"Empaillage des oiseaux - Aperçu des opérations manuelles à faire" |
Tableau synoptique
Vient ensuite une étude sur la diversité des pattes et des becs, par l'intermédiaire de l'anatomie comparée, qui n'a pas d'intérêt majeur, et un tableau synoptique listant des espèces. Pour ce dernier, il est difficile de savoir à quoi correspond cet ensemble d'annotations, comprenant le nom de nombreuses espèces européennes et extra européennes (Afrique, Amériques, Océanie), le sexe de certaines… S'agit-il de la liste d'oiseaux réels ? Certaines espèces sont assez rares et vivent assez loin de la France. Citons le podargue cornu, Batrachostomus cornutus et le calao rhinocéros, Buceros rhinoceros (Océanie), le guacharo des cavernes, Steatornis caripensis (Amérique du Sud), la veuve de paradis, Vidua paradisaea (Afrique)… Y aurait-il un lien avec les collections du Muséum d'histoire naturelle de Bayonne, Ulysse Darracq en ayant été le conservateur de 1856 à 1872 ? Même si une telle éventualité est tout à fait envisageable, nous n'avons pas d'élément pour le moment qui permette de confirmer cette hypothèse. D'autant que les collections ont été détruites en grande partie lors d'un important incendie en 1890 et que trop peu d'informations concernant cette période et ces collections nous sont parvenues.