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Nous avons demandé à Claude Dendaletche, grand connaisseur de la faune du Pays basque, de nous faire une présentation de Pierre-Thomas Ducourrau, de sa vie et de son oeuvre.

Introduction

Peut-on, à l’instar du rédacteur de l’article “Un naturaliste ignoré” (Bull. soc. de Borda, 3° trim. 1888) qualifier Ducourrau de naturaliste ? Certes, il fut, comme indiqué, un contemporain de Lamarck, Cuvier et Geoffroy St Hilaire, mais quel fut réellement son apport scientifique, tel du moins que l’on peut l’apprécier au travers de l’examen des deux gros manuscrits que le don de Félix Moussempès, en 1949, au Musée basque de BayPeut-on, à l’instar du rédacteur de l’article “Un naturaliste ignoré” (Bull. soc. de Borda, 3° trim. 1888) qualifier Ducourrau de naturaliste ? Certes, il fut, comme indiqué, un contemporain de Lamarck, Cuvier et Geoffroy St Hilaire, mais quel fut réellement son apport scientifique, tel du moins que l’on peut l’apprécier au travers de l’examen des deux gros manuscrits que le don de Félix Moussempès, en 1949, au Musée basque de Bayonne, a permis de sauver ?


Un naturaliste aux références locales

Après un bref enseignement des mathématiques vers l’âge de 18 ans, il partit à Paris pour y travailler dans le commerce. En 1844, ayant épousé la nièce d’un professeur de botanique à l’Ecole de médecine de Nancy, il s’établit dans cette ville où il fonde sa propre maison de commerce. Faut-il voir dans cette alliance familiale la stimulation d’un intérêt pour ce que l’on nommait alors l’histoire naturelle ?

Le voici donc de retour à Biarritz, à l’âge de 55 ans, disposant d’un temps qu’il consacra partiellement à une activité de collecte naturaliste. On sait par les articles publiés à l’époque qu’il constitua dans le laps de temps indiqué : “trois volumineux cahiers de notes manuscrites qui sont une réelle iconographie des animaux petits et grands, vivants ou fossiles, terrestres ou marins, des coquilles, des insectes, des plantes et des arbres qui se trouvent dans la région du Sud-ouest, et principalement aux environs de Biarritz”, résultat donc de 9 années  de collecte, de dessins et d’écriture (1865-1874).

Il bénéficia dans la région de la présence, des écrits et de l’aide de naturalistes actifs, dont l’œuvre nous est connue par leurs écrits ou les collections qui sont arrivées jusqu’à nous. Citons en particulier Ulysse Darracq, fondateur du premier Musée d’histoire naturelle de Bayonne, vers 1856, où il déposa ses collections personnelles d’histoire naturelle. Dès 1836, puis surtout en 1846, trois de ses notices importantes furent publiées à la fin du volume consacré par F. Morel à : Bayonne, vues historiques et descriptives. Il s’agit de : Notice sur la flore des environs de Bayonne, p. 449-493 - Notice méthodique sur quelques poissons des eaux douces et salées des environs de Bayonne, p. 495-510 - Extrait du catalogue des oiseaux du département des Landes et des Pyrénées occidentales, p.511-517.

On peut lire dans le Bulletin de la Société botanique de France, retraçant les travaux de la Session extraordinaire à Bayonne en 1880, de nombreux renseignements sur le Museum de la ville. Ils permettent de se rendre compte de la documentation exceptionnelle à disposition des naturalistes des environs. Biarritz, en effet à cette époque était une petite bourgade assez peu tournée vers des préoccupations scientifiques. Le Museum de Bayonne occupait quatre salles au deuxième étage de la mairie de la ville, à côté de la bibliothèque, ouverte le 1er mai 1851 et dont les 821 ouvrages initiaux occupaient cinq salles contiguës aux précédentes. Il y avait beaucoup d’ouvrages de botanique, dont ceux de Thore (Chloris du département des Landes), de Lapeyrouse (Histoire des plantes des Pyrénées) et les écrits de Darracq. L’herbier de Darracq contenait plus de 4000 espèces de la région et de toute l’Europe, faisant de cet ensemble un élément de référence et de détermination des plantes, utilisable par les botanistes locaux, dont Ducourrau. L’ornithologie était particulièrement bien représentée par les collections de Darracq, lesquelles furent complétées à la disparition de ce dernier par son successeur Léon Hiriart. Darracq avait publié en 1836, à Bordeaux, un Catalogue des oiseaux du département des Landes et des Pyrénées occidentales, dont un simple extrait fut publié la même année par Morel dans l’ouvrage cité plus haut.


Un ensemble manuscrit partiellement sauvegardé

Sur les trois documents attestés par les anciens écrits, seuls subsistent le n°1 intitulé Ornithologie et le n°2 : Histoire naturelle du pays. Le n°4 : Flore, ainsi que le probable herbier ont disparu. C’est le propre cousin de Ducourrau, Jules Moussempès, pharmacien à Biarritz qui a sauvé ces documents, ce qui permettra à son petit-fils Félix de les donner au Musée basque de Bayonne. Jules a numéroté les documents, ainsi qu’un bel ouvrage de botanique, le Theatrum Florae, publié en 1633.

Grâce à un article de Wenworth Webster (1828-1907), savant ethnologue basquisant habitant à Sare, on sait que Ducourrau possédait une belle bibliothèque “installée tant bien que mal dans un pavillon attenant à la villa Nancy, près de la vieille église de Biarritz” (il s’agit sûrement de Ste Eugénie). Il lui acheta un certain nombre de documents de linguistique et de philosophie, domaines dans lesquels notre homme investiguait aussi, témoignant par là de son attachement aux dialectes occitans. Webster ajoute : “Pierre Ducourrau fut un vrai collectionneur ; il avait du goût et de l’enthousiasme, et ses habitudes de naturaliste l’ont servi dans l’étude de son dialecte maternel".

Les Moussempès furent une lignée importante de Biarritz, dont une partie de la fortune fut réalisée autour de la tuilerie sise au quartier  nommé plus tard La Négresse. Ils possédèrent aussi la maison où fut logée la Reine Nathalie de Serbie. Lorsque Ducourrau mourut, Jules Moussempès, qui le connaissait bien et dont la pharmacie se trouvait à proximité immédiate (au 19 rue Mazagran et Place Ste Eugénie), dut s’enquérir auprès de sa famille du devenir des documents accumulés. Hélas, comme nous l’apprend le texte publié par Peter Barr (in The Gardener’s chronicle, p. 311, mars 1888), membre de la Société botanique de Londres, après une visite qu’il fit à Jules Moussempès, beaucoup fut jeté ou brûlé par ses héritiers.

L’herbier et le volume sur les plantes ont donc disparu semble-t-il à une date postérieure car Peter Barr, qui avait vu l’ensemble des documents récupérés, en donne une description dans son article. Le volume qu’il vit était entièrement dévolu au monde végétal à la fois par le dessin et sans doute par quelques plantes séchées elles-mêmes. Il parle de milliers de dessins.

Il est méritoire que ces documents aient pu arriver jusqu’à nous, après avoir été conservés dans la famille Moussempès au fil de trois générations. Le fait qu’ils aient été légués au Musée basque de Bayonne en 1949 et non à une entité plus naturaliste est sans doute lié au fait que le Museum d'histoire naturelle de Bayonne était inactif à cette époque.


L'observateur des oiseaux

Le manuscrit  Ornithologie est un gros document truffé de dessins et de notes. Il faut noter l’avant dernière planche, n° 68,  consacrée à l’empaillement des oiseaux. A cette époque, en effet, la règle était de disposer d’un animal mort afin d’examiner soigneusement toutes les caractéristiques ornithologiques. Le fusil était donc le premier instrument scientifique utilisé par les naturalistes. Ensuite venait l’empaillage et la mise en situation de l’oiseau la plus naturelle possible. La ville de Biarritz et le Museum de Bayonne possèdent ainsi de très importantes collections d’oiseaux naturalisés.

Les oiseaux représentés par Ducourrau le sont à l’échelle de la taille naturelle, ce qui l’oblige à de multiples collages de papier pour disposer d’une surface suffisante, par exemple pour le héron. La détermination spécifique est toujours confortée par l’indication de références bibliographiques, surtout Darracq, mais aussi Risso, Cuvier, Thore ou autres. Le Petit Duc (Hibou scops) fut ainsi capturé par Mr J. Moreau le 22 octobre 1865 à Biarritz ; la référence indiquée est : Risso III, 32 n° 33. Il est indiqué sur la planche : dessin de grandeur naturelle. Certains dessins sont datés de 1855, donc antérieurs à son retour à Biarritz, ce qui montre bien l’enracinement de sa passion de collection et de collation naturaliste. La perdrix fut ainsi “dessinée d’après nature et de grandeur naturelle. 3 octobre 1864, don de M. Eug. Aubert, de Strasbourg”. Les références sont souvent abrégées : M. Darracq, M. Dq, ou explicites : Vu par M.Dq. S’agissant du Catalogue Darracq, le numéro de l’oiseau est indiqué d’après ce document. Les noms vernaculaires en gascon, bas breton, provençal, languedocien, italien sont souvent indiqués. Mais pas en basque, montrant ainsi que Ducourrau avait sans doute peu de rapports avec des naturalistes bascophones.

La colorisation des dessins semble avoir été réalisée par sa fille, pour l’essentiel des documents, le dessin au trait étant toujours de l’auteur.

Certaines planches ne sont pas originales. Ainsi, celle sur les oiseaux de proie, d’après les planches 5, 6 et 7, d’après l’Atlas Buffon. Ce document apparaît davantage comme une sorte d’album, rassemblant des observations morphologiques sur l’oiseau avec indications diverses, que comme un travail réalisé dans une perspective plus scientifique. Il faut dire que l’époque était à la collecte et au rassemblement de données permettant l’établissement d’un classement systématique des espèces et tout concours, même d’un amateur, était utile. De nombreux chasseurs, au fusil ou aux filets, fournissaient Ducourrau et les renseignements consignés permettent de noter beaucoup de comportements humains habituels à cette époque, à côté de notations de pure ornithologie. Ainsi le Loriot jaune mâle capturé le 20 avril 1868 nichait aussi dans le Parc de Grammont à Biarritz “et on en trouve parfois perdus en mer”. L’existence de “filets aux tourterelles”, attesté dans une fiche permettait la capture de beaucoup d’autres oiseaux ; il s’agissait là d’une préfiguration de la capture moderne au filet permettant le bagage des individus et l’apport à la connaissance des phénomènes migratoires, sauf qu’à l’époque on tuait les oiseaux !


L'intérêt pour l' « histoire naturelle »

Le manuscrit d’histoire naturelle est un épais volume de 1002 pages, superbement relié lui aussi, qui à la différence du précédent apparaît comme très hétérogène dans son contenu et dans son agencement. On y trouve une juxtaposition d’un ensemble de brochures, numérotées de 1 à 9, mais dont certaines sont presque vides. Ce sont : Poissons (brochure 9), Mollusques (b.8), Quadrupèdes, Ovipares, Serpents (b. 7), Iconographie, Ornithologie (b.6), Fossiles (b.5), Mammifères (b.4), Crustacés (b.3), Botanique (b. 2. Vide !), Insectes (b. 1). L’ensemble a été constitué en 1867-1868.

Il contient aussi un très épais document manuscrit, d’une calligraphie autre, intitulé : Index herbarii Suardiani. Il s’agit sûrement d’un travail légué par l’oncle de sa femme M. Suard qui, on le sait, fut professeur de botanique à Nancy. “J’ai acquis du docteur Jourdain un herbier composé de plantes pyrénéennes, de la Catalogne et surtout des environs de Barcelone ainsi que des plantes de Palma et d’Alger”, indique le légataire. Où se trouve l’herbier correspondant, en Lorraine ?

D’autres prises de notes consignent : Table alphabétique des familles (d’après la flore de Spach 1846), la liste des Quadrupèdes ovipares et serpents décrits par Lacepède, et d’autres documents de moindre intérêt. Un texte plus personnel s’intitule : Fossiles de Biarritz recueillis et dessinés par Pierre-Th. Ducourrau, 1865. Ainsi, la planche II regroupe dix dessins de “coquilles trouvées le 8 février 1866 par suite d’un éboulement dans la falaise marneuse de la Côte des Basques près de l’établissement des Bains avant le torrent de Fachon (?) incrustées dans les roches grisâtres, marneuses gisant à la base de la falaise et presque au niveau de la plage”. Il détermine seulement trois des genres représentés, soit : Nucula, Planorbis, Hippurites. Sans doute pourrait-on mettre un point d’interrogation pour cette dernière attribution. Il précise en tête de son écrit qu’il se réfère à un travail du Dr de Grateloup publié en 1838  dans le Bulletin de la Société linnéenne de Bordeaux.

Une note sur la chasse telle qu’elle se pratiquait en 1829, en particulier par les “célèbres chasseurs Mounache et Laurent Alby (?), clôt une longue liste d’oiseaux observés dans la région, y compris au moment de la migration. Sans doute s’agit-il là d’une contribution plus personnelle, mais l’intitulé de l’ensemble : Iconographie ornithologique de Biarritz, 1865, ne correspond guère à la teneur réelle du texte, assez peu fourni malgré tout.


Un thésauriseur plus qu’un chercheur naturaliste.

Que peut-on retenir de cet homme, tel que l’on peut l’appréhender d’après les documents parvenus jusqu’à nous. A l’évidence sa grande activité ne concernait pas que l’histoire naturelle. L’article de Wentworth Webster nous indique une activité foisonnante dans le recueil d’une documentation de type philologique et linguistique dans le domaine occitan, sans que Ducourrau y fît oeuvre novatrice. Là aussi il laissa “un grand in-octavo de 300 pages interfoliées”, c’est-à-dire truffées de notations et documents. Cette partie de ses travaux, dispersée, a semble-t-il disparu.

Cet homme n’hésitait pas à prendre contact avec les personnes compétentes en histoire naturelle et à consulter les documentations disponibles. Rappelons qu’à cette époque les disponibilités de ce type à Bayonne étaient conséquentes. Nous avons cité plus haut le Museum d’histoire naturelle de Bayonne - dont hélas plus tard un incendie allait détruire beaucoup de collections - avec Ulysse Darracq. Thore (1762-1823), puis surtout Léon Dufour (1780-1865), à partir des Landes, explorèrent aussi les Pyrénées et la côte. Les publications de la Société de Borda à Dax, la Société linnéenne de Bordeaux consignaient beaucoup de données naturalistes. A Biarritz même, dès 18 avril 1883, le Marquis de Folin, océanographe et malacologiste distingué proposa la création d’un Centre scientifique, lequel devait suivre la création du Musée de la mer en 1933.

L’époque était encore à l’établissement des listes faunistiques et floristiques des diverses régions, et à la constitution de collections de référence. Ainsi furent rassemblés, avant 1880 à Bayonne, les herbiers Darracq, Blanchet, Richter. Ducourrau ne manqua donc pas de documentation à proximité de sa maison biarrote.

A côté de cette sociabilité naturaliste, Ducourrau bénéfica aussi de relations sans doute importantes avec la gentry de la ville de Biarritz. A ce titre, les Moussempès eurent sans doute une place essentielle puisque c’est au dernier que nous devons la conservation des documents ici étudiés.

Ce cadre général étant défini, il serait intéressant de se pencher, au fil des pages, sur les diverses notations consignées sur les fiches documentaires rassemblées pour en tirer des faits précis dans divers domaines : sociologiques, climatiques, comportementaux, etc... On pourrait illustrer ainsi, à partir de faits ponctuels nouveaux, la vie coutumière des habitants aisés du Biarritz de cette époque, précédant ce que l’on allait nommer ensuite La belle époque.

Claude Dendaletche