Henry du Boucher, Bulletin de la Société Borda, 3e trimestre 1888, pages 185-187.

Ils sont plus nombreux qu’on ne pense les modestes travailleurs de province qui, fuyant avec soin le bruit et la notoriété, voués à une tâche souvent bien humble et bien obscure, ont, par simple amour de la science, plus fait pour son développement et ses progrès que tant d'autres dont les noms retentissent aujourd’hui dans nos annales scientifiques.

De ce nombre fut Pierre-Thomas Ducourrau, né à Biarritz en 1810, qui fut le contemporain de Lamarck, de Cuvier, de Geoffroy St-Hilaire, s'inspira de leur enseignement et travailla d'après les mêmes méthodes. Professeur de mathématiques à Bayonne dès l'âge de 18 ans, il ne tarda pas à quitter cette ville pour se rendre à Paris où il devint secrétaire d'une maison de commerce, position toute de confiance dans laquelle il s'attira l'estime et la sympathie de tous par les rares qualités de son cœur et de son esprit. Marié en 1844 à une nièce de M. Suard, professeur de botanique à l’École de médecine de Nancy, il sentit se développer dans la fréquentation de son beau-père son goût pour les études naturelles et y consacra tous les instants de loisir que lui laissait la direction d’une importante maison de commerce qu’il avait fondée à Nancy. Rentré à Biarritz en 1865, il n’eut plus d’autre occupation que de mettre en ordre et de compléter ses nombreuses notes d'histoire naturelle et il y travailla jusqu'aux derniers jours de sa vie, même pendant qu'il était torturé par la maladie cruelle qui devait bientôt l'enlever à l'affection des siens. (1874).

Ducourrau a laissé trois volumineux cahiers de notes manuscrites qui sont une réelle iconographie des animaux petits et grands, vivants ou fossiles, terrestres ou marins, des coquilles, des insectes, des plantes et des arbres qui se trouvent dans la région du Sud-Ouest et, principalement, aux environs de Biarritz. On peut dire qu’en réalité il a écrit, s dessiné et figuré la Flore et la Faune de cette ville.

Ce qui frappe dans cet immense travail c’est la netteté des descriptions, la justesse vraiment scientifique avec l’auteur met en relief les caractères les plus saillants en l’espèce qu’il étudie, la scrupuleuse fidélité des dessins, le luxe des détails qui accompagne chaque organe représenté à part, l’expression vivante des attitudes, les sentiments exquis de la couleur ou les nuances à appliquer. Disons en passant, que pour cette dernière tâche le naturaliste a été puissamment aidé par le pinceau si fin et si délicat de sa fille Marie à laquelle il est juste de rendre la part de mérite qui lui revient. Remarquez en outre que dans les dessins dont il s’agit, se trouvent notées les particularités inédites qu’il serait très intéressant de relever, car les soins avec lequel elles sont présentées ne permet pas de mettre en doute leur parfaite exactitude. Le premier cahier est consacré au règne végétal, le second à l’ornithologie, le troisième aux poissons, coquilles, insectes etc.

Ces précieux manuscrits ne sont connus que d’un très petit nombre d’amateurs et, selon nous, ils méritent de l’être davantage. C’est un savant anglais, Peter Barr, membre de la société de Botanique de Londres qui le premier en a signalé l’intérêt dans un article du Gardener’s chronicle, en date du 10 mars 1888. P. Barr, de passage à Biarritz au commencement de l’année, dit avoir parcouru ces manuscrits avec le plus vif intérêt : je les ai étudiés feuille par feuille, et plus je parcourais cet ouvrage, plus mon étonnement redoublait… je puis même avouer que je compte au nombre des meilleurs moments de mon existence ceux que j’ai passés à feuilleter un magnifique Theatrum Flora que je voyais pour la première fois et qui fut publié cinq ans après le Paradisus de notre Parkinson… Le savant anglais, que connaissent bien tous ceux qui s’occupent de l’étude des Narcisses, décrit ensuite l’inutilité de ses démarches pour se faire céder par M. Moussempès ces manuscrits sauvés d’une entière destruction par un parent qui en avait su apprécier la valeur.

L’auteur de cette courte note présenta en 1882, au Congrès scientifique de Dax, l’œuvre si remarquable à tant de titres de notre quasi-compatriote. Par malheur c’était en un moment où la section d’histoire naturelle était un peu désorganisée par suite du départ précipité du regretté Tournouër, son président, que nous ne devions plus revoir. Ils se perdirent dan la foule des travaux qui surchargeaient l’ordre du jour de la séance de clôture et mention n’en fut pas même faite dans les comptes-rendus du Congrès.

Nous croyons que c’est justice de signaler aux savants cette source précise de renseignements pour la Flore et la Faune de nos contrées, de rappeler les œuvres d’un patient et infatigable travailleur qui, les premiers [sic] inaugura cet enseignement par la vue si fort en honneur aujourd’hui et que l’enseignement pédagogique a définitivement adapté. Nous voulons même espérer que M. Moussempés, notre honorable collègue, qui a ces manuscrits en sa possession voudra bien prendre toutes les dispositions nécessaires pour en assurer à tout jamais la conservation et la garantie tout aussi bien contre les injures du temps que contre l’incurie, l’avidité ou l’ignorance de ceux qui pourraient en devenir possesseur à leur tour.

H. du Boucher